Depuis que j'accompagne des enfants, adolescents et adultes dans leurs parcours d'apprentissage, une conviction s'est ancrée en moi : on ne peut pas aider quelqu'un à mieux apprendre en ne regardant qu'une seule dimension de sa personne. Les difficultés d'apprentissage sont rarement liées à une seule cause, et c'est précisément cette complexité qui rend mon métier si passionnant.
« Pourtant, il est intelligent ! » « Elle travaille tellement, je ne comprends pas… » « Les devoirs durent trois heures tous les soirs. » Ces phrases, je les entends quotidiennement dans mon cabinet. Derrière elles se cache souvent une immense fatigue, parfois de la culpabilité, et surtout beaucoup d'incompréhension. Pourquoi un enfant capable de vous expliquer en détail le fonctionnement d'un volcan ne parvient-il pas à retenir ses tables de multiplication ? Pourquoi un adolescent brillant à l'oral s'effondre-t-il lors des contrôles écrits ?
C'est cette question du « pourquoi » qui guide ma pratique. Pas pour trouver des coupables ou des étiquettes, mais pour comprendre comment fonctionne chaque apprenant, et surtout comment l'aider à construire ses propres stratégies.
Une approche qui articule trois dimensions
Dans ma pratique, je m'appuie sur ce que j'appelle l'approche tête-cœur-corps. Cette méthode structure mon accompagnement autour de trois piliers indissociables, car je constate chaque jour qu'ils interagissent constamment entre eux.
La tête : bien au-delà de « l'intelligence »
Quand je parle de la « tête », je ne parle pas d'intelligence – concept que je trouve d'ailleurs peu utile et souvent réducteur. Je parle des fonctions cognitives : ces capacités mentales qui nous permettent de planifier, d'organiser, de mémoriser, de raisonner, de nous adapter. Les fameuses fonctions exécutives, mais pas seulement. L'attention sous toutes ses formes, la concentration, les capacités visuo-spatiales… autant de dimensions qui influencent notre façon d'apprendre.
Mais je travaille aussi sur ce qui se passe « dans la tête » au sens plus large : la gestion mentale. Comment l'enfant ou l'adulte se représente-t-il mentalement l'information ? Plutôt en images, en mots, en sensations ? Quelle est sa « langue mentale » préférentielle ? Comprendre cela permet d'adapter les stratégies d'apprentissage à son fonctionnement propre.
Je porte également attention aux pensées parasites, ces petites voix intérieures qui viennent polluer l'apprentissage. « Je n'y arriverai jamais », « C'est trop dur », « Les autres y arrivent mieux que moi », « De toute façon je suis nul ». Ces pensées automatiques envahissent l'espace mental et empêchent la concentration. Apprendre à les identifier, les nommer, et les remplacer par des pensées plus aidantes fait partie intégrante de mon accompagnement.
Avec les enfants et adolescents que j'accompagne, j'évalue d'abord leurs forces et leurs fragilités dans ces domaines. Certains ont une mémoire de travail limitée et ne peuvent pas gérer plusieurs consignes simultanément. D'autres ont une flexibilité mentale fragile et peinent à s'autocorriger. D'autres encore sont envahis par des pensées parasites qui monopolisent toute leur attention.
Une fois ces fragilités identifiées, je ne me contente pas de les « travailler ». Je propose une remédiation cognitive progressive, structurée en trois étapes dont je vous parlerai plus loin. L'objectif n'est pas de « réparer » quoi que ce soit, mais de développer des stratégies compensatoires et de renforcer progressivement ces compétences.
Le cœur : restaurer la confiance perdue
La dimension émotionnelle est souvent celle qui fait toute la différence. J'accueille régulièrement des enfants ou des adolescents qui ont perdu toute confiance en leurs capacités. « Je suis nul », « Je n'y arriverai jamais », « De toute façon je ne retiens rien » : ces phrases sont de véritables prophéties auto-réalisatrices. Un enfant qui se vit comme incapable se met lui-même en situation d'échec avant même d'avoir commencé.
Mon travail consiste à déconstruire patiemment ces croyances limitantes. Je valorise systématiquement les réussites, même petites. Je reformule les échecs comme des occasions d'apprendre. Je travaille sur l'estime de soi, sur la confiance en ses capacités, sur la gestion de l'anxiété de performance. Je développe aussi les compétences psychosociales : savoir identifier et nommer ses émotions, les réguler, communiquer sur ses difficultés sans honte.
Un enfant qui retrouve confiance en lui change littéralement. Son regard s'éclaire, sa posture se redresse, il ose à nouveau essayer. C'est l'un des aspects les plus beaux de mon métier.
Le corps : l'oublié des apprentissages
C'est sans doute la dimension la plus sous-estimée dans notre système éducatif, et pourtant elle est fondamentale. Le corps n'est pas qu'un véhicule qui transporte le cerveau à l'école. C'est une composante active de l'apprentissage.
D'une part, je porte une attention particulière à l'hygiène de vie. La qualité du sommeil, évidemment – un adolescent qui dort cinq heures par nuit aura beau être volontaire, ses capacités cognitives seront altérées. Le temps d'écran, surtout avant le coucher, qui vient perturber l'endormissement et la qualité du sommeil. Le rythme de vie, souvent trop chargé. La posture de travail, qu'on néglige alors qu'elle influence directement la concentration.
Je m'intéresse aussi aux besoins sensoriels, souvent ignorés. Certains enfants sont hypersensibles au bruit et ne peuvent pas se concentrer dans une classe bruyante. D'autres ont besoin de bouger pour réfléchir et sont pénalisés par l'immobilité exigée à l'école. Identifier ces besoins permet de mettre en place des adaptations concrètes : un casque anti-bruit, des pauses actives, un coussin d'assise dynamique…
La persistance de réflexes archaïques non intégrés peut également interférer avec les apprentissages. Lorsque je repère ces difficultés, j'oriente vers des professionnels spécialisés dans leur intégration.
Mais le corps est aussi un outil actif pour mieux apprendre. J'utilise des techniques de recentrage et de relaxation pour aider l'enfant ou l'adolescent à retrouver une présence à soi favorable à la concentration. Le travail sur les sensations corporelles aide à réguler les émotions et le stress. La dimension sensori-motrice – bouger pour apprendre, manipuler, expérimenter – facilite l'ancrage des connaissances, particulièrement chez ceux qui ont besoin de passer par le corps pour intégrer.
Une approche intégrative nourrie par plusieurs disciplines
Au-delà de ces trois piliers, ma pratique s'appuie sur une approche intégrative. J'intègre les apports des neurosciences qui nous éclairent sur le fonctionnement du cerveau, des sciences cognitives qui nous donnent des clés sur les mécanismes d'apprentissage, de la psychologie qui nous aide à comprendre la dimension émotionnelle, et de la systémie familiale qui replace l'enfant dans son contexte relationnel et familial.
Cette approche intégrative signifie aussi que je travaille régulièrement en réseau. Je collabore avec des orthophonistes, des psychomotriciens, des orthoptistes, des ergothérapeutes, des neuropsychologues, des psychologues. Mais aussi avec des graphothérapeutes, des kinésiologues, des spécialistes en intégration des réflexes archaïques, des sophrologues. Et bien sûr, avec les enseignants eux-mêmes, partenaires essentiels pour faire le lien avec la classe.
Parfois, j'interviens en amont d'un bilan pour orienter une famille vers le bon professionnel. D'autres fois, j'interviens en aval pour approfondir et mettre en place des stratégies concrètes dans le quotidien scolaire ou familial. Cette collaboration est essentielle pour créer un véritable réseau autour de l'apprenant.
Ma méthodologie : une progression en trois étapes
Concrètement, comment je travaille ? Je ne commence jamais directement par les devoirs ou les leçons. J'ai développé une progression pédagogique en trois étapes qui permet d'ancrer durablement les stratégies d'apprentissage.
Première étape : le jeu. Tout commence par le jeu. Dans ce cadre ludique et rassurant, sans enjeu scolaire, l'enfant ou l'adulte expérimente sans pression. C'est dans le jeu qu'on accepte l'erreur, qu'on ose essayer de nouvelles stratégies, qu'on développe ses capacités sans même s'en rendre compte.
Mais le jeu a une autre fonction fondamentale : il permet de faire prendre conscience d'une notion cognitive de manière concrète, sans être rébarbatif. Comment expliquer l'inhibition à un enfant de 9 ans ou à un adolescent TDAH de 14 ans qui s'en fiche un peu, quelque part ? Plutôt que de faire un cours théorique, je lui fais jouer au Jacques a dit ou au Jungle Speed. En jouant, il VIT l'inhibition : il doit bloquer son geste automatique, résister à l'impulsion. Après le jeu, on en parle : « Tu as vu ? Là, tu as dû t'empêcher de bouger alors que ton corps voulait y aller. Ça, c'est l'inhibition ! Et devine quoi ? C'est exactement ce que tu dois faire en classe quand tu as envie de parler mais que ce n'est pas ton tour. » La notion devient concrète, vécue dans le corps, et soudain elle prend sens.
Un jeu de logique pour travailler la planification. Un memory pour découvrir ses propres stratégies de mémorisation et comprendre qu'il en existe plusieurs. Un tangram pour renforcer les capacités visuo-spatiales tout en prenant conscience de comment on se repère dans l'espace. Le jeu devient à la fois un outil d'entraînement ET un révélateur de son propre fonctionnement.
Deuxième étape : les activités ludiques. Progressivement, je propose des activités qui commencent à ressembler aux situations d'apprentissage réelles, mais qui restent dans un cadre ludique et sécurisant. On s'approche du travail scolaire, mais sans la pression des notes ou du jugement.
C'est à ce stade que j'introduis la remédiation cognitive plus formelle. Des exercices papier-crayon ciblés, et pour le travail sur les fonctions exécutives spécifiquement, des exercices d'automatisation – cet entraînement répétitif qui permet de rendre automatiques certaines compétences. Un enfant qui doit encore réfléchir à l'orthographe de chaque mot ne peut pas se concentrer sur le sens de sa phrase. En automatisant certaines tâches grâce à un entraînement systématique, on libère de l'espace en mémoire de travail pour des tâches plus complexes.
Mais cette étape ne se limite pas à « faire des exercices ». Elle intègre aussi une dimension de psychoéducation essentielle : j'explique explicitement à l'apprenant ce qu'on travaille ensemble et pourquoi. « Aujourd'hui, on va entraîner ta mémoire de travail. C'est elle qui te permet de garder plusieurs informations en tête en même temps. Quand elle est fatiguée, tu as du mal à suivre les consignes à étapes. On va l'entraîner pour qu'elle devienne plus forte. » Cette compréhension de ce qui se joue transforme le jeune d'exécutant passif en acteur de ses apprentissages. Il comprend ce qu'il fait, pourquoi il le fait, et peut même commencer à identifier lui-même quand telle ou telle compétence lui fait défaut.
L'enseignement explicatif traverse toutes mes séances : nommer les fonctions cognitives, expliquer les stratégies, faire prendre conscience des progrès. C'est cette métacognition – cette conscience de son propre fonctionnement – qui permet ensuite le transfert vers l'école.
Troisième étape : le transfert au travail scolaire. Enfin seulement, une fois que les stratégies sont bien ancrées, on les applique concrètement aux devoirs, aux leçons, aux situations d'apprentissage réelles. Cette approche progressive permet que les nouvelles compétences deviennent durables et utilisables de manière autonome. L'enfant ne se contente pas d'appliquer mécaniquement une technique : il comprend pourquoi ça fonctionne et comment l'adapter à différentes situations.
L'histoire de Maxime : un exemple concret
Pour illustrer cette approche, laissez-moi vous raconter l'histoire de Maxime. Élève de CM2, il avait du mal à s'organiser et manquait de maturité dans la gestion de son travail personnel. Ses enseignants et ses parents notaient qu'il avait tendance à s'éparpiller, à ne pas suivre les consignes jusqu'au bout. Son entrée en 6e approchant, la famille souhaitait un accompagnement pour l'aider à gagner en autonomie.
Lors de nos premières séances, j'ai identifié une fragilité dans ses fonctions exécutives, notamment la planification et la flexibilité mentale. Concrètement, cela se traduisait par des difficultés à suivre les étapes d'un problème de mathématiques, à s'autocorriger en dictée, ou à organiser son cartable et ses devoirs. Maxime n'était ni paresseux ni étourdi : il ne savait tout simplement pas comment s'y prendre.
Nous avons travaillé sur plusieurs fronts simultanément. D'abord, j'ai mis en place des outils d'organisation concrets et visuels : plannings colorés, check-lists illustrées, routines structurantes pour son temps de travail. Pour renforcer ses capacités de planification et d'attention, j'ai appliqué ma progression en trois étapes : d'abord des jeux de stratégie (comme le Rush Hour ou le Katamino), puis des exercices ludiques de plus en plus proches du scolaire, enfin l'application directe à son travail de classe. Nous avons aussi élaboré ensemble une méthodologie de relecture, étape par étape, pour qu'il apprenne à se corriger de manière autonome.
Mais nous n'avons pas oublié le « cœur » et le « corps ». Sur le plan émotionnel, nous avons travaillé sur son anxiété face aux consignes multiples et sur sa tendance à se dévaloriser quand il ne comprenait pas immédiatement. Sur le plan corporel, nous avons exploré des pistes d'hygiène de vie : réduction du temps d'écran avant le coucher (il passait plus d'une heure sur sa console le soir), mise en place d'un rituel apaisant, et apprentissage de techniques simples de respiration pour gérer son stress avant les contrôles.
Six mois plus tard, Maxime avait gagné en autonomie et en sérénité. Il utilisait spontanément ses outils d'organisation, se corrigeait de lui-même, et surtout, il avait retrouvé confiance en ses capacités. Il a pu aborder sa 6e avec des repères solides et une meilleure compréhension de son propre fonctionnement.
Apprendre à apprendre, tout simplement
Au fond, mon métier se résume à cela : apprendre à apprendre. Que ce soit pour un enfant de 8 ans qui découvre ses premiers outils d'organisation, un adolescent qui reconstruit sa confiance après des années de difficultés, un étudiant qui développe ses méthodes de travail pour l'université, ou un adulte en reconversion qui stimule ses capacités cognitives.
En articulant les dimensions cognitives, émotionnelles et corporelles, en intégrant les apports de différentes disciplines, en travaillant en réseau avec d'autres professionnels, la psychopédagogie permet de restaurer la confiance, de révéler les forces cachées, et de remettre du plaisir dans les apprentissages.
Parce qu'apprendre n'est pas une question d'intelligence ou de volonté. C'est une question de compréhension de soi, de stratégies adaptées, et de confiance retrouvée. C'est ce qui me guide chaque jour dans ma pratique.